Débat sur l'identité nationale
Merci, Mr le Préfet du Gard de m'avoir donné un espace de parole dans ce débat. Je fais partie des personnes que les circonstances géo politiques de la mondialisation amènent à dire qu'elles ont deux pays : un pays d'origine (le Cambodge) et un pays d'accueil (la France). Au début de cette prise de parole, je tiens à remercier les Français, les Alésiens qui m'ont aidée à apprendre la France depuis mon arrivée sur le sol de ce pays en 1980. J'ai bien dit apprendre la France et non le français. J'ai en effet appris la langue française depuis mon enfance. Je fais partie de la génération des Cambodgiens qui ont appris à l'âge de 8 ans : « nos ancêtres les gaulois ». J'ancre mon apport dans mes expériences de femme immigrée, réfugiée politique, arrivée à Alès en 1980. J'ai obtenu la nationalité française en 1989. Aujourd'hui, je peux dire que j'ai refait ma vie en France. Quand je me sers de l'expression courante «j'ai refait ma vie », ce n'est pas dans le sens d'un exilé qui, ayant choisi de vivre en pays étranger, cherche un travail pour continuer à vivre, tout en restant dans la nostalgie de son passé, dans le souci de préserver son moi. J'ai refait ma vie signifie « renaître à une vie autre, en tant qu'individu transformé ». François Chèng Renaître à une vie autre, ce n'est pas tirer un trait sur sa culture d'origine. Renaître à une vie autre, c'est laisser la culture d'origine entrer en dialogue avec la culture d'accueil… Laisser ma culture asiatique cambodgienne entrer en dialogue avec la culture occidentale française. Ce dialogue entre deux cultures nous permet d'avoir une identité personnelle transformée. Quelles sont les conditions pour que deux cultures différentes puissent entrer en dialogue ? Mais tout d'abord qu'est ce qu'une culture ?
Je vous cite alors la définition de l'UNESCO en 1982 : Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd'hui être considérée comme l'ensemble des traits distinctifs, spirituels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l'être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances… La culture donne à l'homme la capacité de la réflexion sur lui-même. C'est elle qui fait de nous des êtres spécifiquement humains rationnels, critiques et engagés. Si la culture fait de nous des êtres spécifiquement humains, rationnels, critiques et engagés. Beaucoup de facteurs vont être sollicités dans cette rencontre. Des facteurs qui ne laissent personne neutre ou indifférente, des facteurs qui touchent profondément notre affectif. Des facteurs qui nous affectent… Stefan Zweig, (philosophe autrichien 1881-1942) a écrit : « Chaque forme d'émigration produit inévitablement par elle-même une sorte de déséquilibre. On perd quelque chose de sa verticalité, quand on ne sent pas sa propre terre sous ses pieds, on perd de sa sûreté, on devient plus méfiant à l'égard de soi-même ». On n'a plus ce que Albert Camus appelle « l'accord de la terre et du pied ». J'ai vécu ce déséquilibre en arrivant en France en 1980. Oui, on perd son équilibre, sa verticalité car les gestes les plus simples de la vie deviennent un casse tête chinois. La politesse dans la rencontre… Salutations. Le déséquilibre est le résultat des violences psychologiques auxquelles on est si peu préparé… Je partage avec vous deux violences vécues : la violence de la langue et la fracture des générations… La violence de la langue
Je l'ai vécu par procuration à travers mes enfants et ma mère. La bonne volonté ne suffit pas. Un certain professionnalisme est nécessaire. L'apprentissage de la langue ne peut pas être approché seulement comme œuvre de charité. La langue française est le premier élément pour nous aider à retrouver l'équilibre. C'est l'étape nécessaire pour se faire respecter… Oui pour se faire respecter, il ne suffit pas de « baragouiner » le français, il faut le parler jusqu'à pouvoir exposer ses idées et dire le plus profond de soi-même avec cette langue étrangère. La fracture des générations
Nous les immigrés, nous savons pertinemment au fond de nous-mêmes que nos enfants vont être " autres " que nous. Car la culture dans laquelle nos enfants vont être immergés n'est pas la même que celle qui nous a construit. La peur de cet autre amène à la construction d'un communautarisme très fermée. Personnellement, je pense qu'il est beaucoup plus réaliste d'accepter cette fracture, de la poser, de l'analyser afin de pouvoir ensuite construire le pont. Tant que la fracture n'est pas acceptée, aucun projet de pont n'est possible. C'est un fait. Il faut accepter que ma culture d'origine ne soit pas forcément celle de mes enfants. Ces derniers sont arrivés très jeunes en France, et ils ont appris à grandir dans la culture française. C'est cette dernière qui les accompagne dans la construction de leur vie adulte. Pour mes enfants, leur culture d'origine est la culture française… S'ils se tournent vers la culture khmère : cette dernière devient leur culture d'adoption… Et c'est dans le regard croisé d'une culture à une autre que le dialogue est passionnant. Je vis cela avec mes grands enfants. Ici on se trompe quand on dit aux jeunes de la génération de mes enfants que leur culture d'origine est la culture d'origine de leurs parents. Ceux qui véhiculent cette idée font du mal sans le vouloir… La rencontre
Les facteurs qui permettent à des personnes en rupture de culture de se reconstruire sont l'accompagnement et l'accueil. Personnellement, J'ai bénéficié de l'accompagnement de personne à personne grâce à des amis de Nîmes et d'Alès. C'est l'apprentissage tout simple des codes de la vie dans la société française : faire des courses, mettre la table, inviter les gens. Il y a dans chaque vie sociale des rituels très simples mais il faut les connaître : l'apéritif obligatoire avant le repas, plateau de fromage… par exemple. L'accompagnement des étrangers qui arrivent chez nous demande quelques délicatesses. C'est un accompagnement fait de respect et de partage. C'est plus qu'un apprentissage, cet accompagnement relève de l'initiation. Cette initiation doit permettre à chacun d'avoir son espace de liberté, de création, et de prise de parole. C'est un accueil où l'autre est vu comme une personne dans son intégrité. Ce qui m'a beaucoup aidé dans l'apprentissage de la France, c'est l'accueil ouvert plein de délicatesse de la part d'une dame de 80 ans à St Hilaire de Brethmas. Elle m'a initiée à la vie à la française, sans jamais essayer de me donner des leçons, ni me réduire à un objet de charité. Je mets quelques réserves sur le mot intégration. Je préfère parler de l'adoption et non d'intégration. Le mot adoption implique un espace de liberté indispensable qui permet à la personne de grandir harmonieusement dans la culture autre que celle de sa naissance. Cet espace est comme une caisse de résonance qui permet à deux cultures de dialoguer. J'ai adopté la France et la France m'a adoptée… Cette réalité correspond mieux aux valeurs de la République : Liberté, Egalité et Fraternité. L'adoption respective donne naissance à une identité nouvelle. Je ne qualifie pas cette identité nouvelle comme une identité plurielle, mais plutôt comme une identité en devenir. Une identité qui a à s'enrichir chaque jour par l'apport d'autres cultures. L'identité française n'est pas une identité figée, elle est une identité ouverte. Cette ouverture garantit à tous les Français ; Français d'ici, Français d'ailleurs ; de vivre ensemble en harmonie dans un état laïc qui applique les valeurs fondamentales de la République. Claire Ly |
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