Claire Ly
AuteurLivresArticlesConferencesDans les médiaCambodgeVoyages au Cambodge

Prière d'une chrétienne venue du bouddhisme
Article écrit par Claire Ly, paru dans la revue trimestrielle Mission de l'Eglise N° 148, Juillet-Septembre 2005.[118 KB]

Bouddhiste d'origine, convertie à la foi chrétienne à l'âge de 36 ans, je suis heureuse de partager avec vous ces instants de prière vécus lors de mon voyage de mémoire au Cambodge avec ma fille en décembre 2003. C'était notre premier voyage après 23 ans de vie en France. Ces instants de prière ont été vécus dans la pagode de Kandal à Battambang, devant le stupa familial. La pagode, jadis une des plus belles du Cambodge, se trouve dans un état de délabrement désolant. Elle est à l'image même de la tradition bouddhiste. Cette dernière a été très " abîmée " par la révolution khmère rouge, à cause du massacre de plusieurs maîtres spirituels. Au Cambodge, le bouddhisme peine à renouer avec l'enseignement de Gautama, le Bouddha. Les fidèles qui reviennent à la religion, restent souvent au stade de croyances superstitieuses, par manque de moyens matériels et intellectuels.

«Faire le vide en soi, s'ouvrir à la lumière»

Dieu, Notre Père, en ce lieu où je participais à toutes les grandes fêtes bouddhiques telles que le Pchum Bèn , le Chaul Chnam , le Vesakh Bochea , je voudrais te présenter tous les bouddhistes du Cambodge, ceux de ma famille comme ceux dont le visage me restera à jamais inconnu.

Prends-les, Père, dans le silence de Ton cœur… Mon cœur aussi est silencieux… Un silence de mémoire… Un silence de compassion… Un silence de confiance... Un silence de communion avec tous mes frères bouddhistes martyrisés par le régime génocidaire de Pol Pot.

Accueille, Père, dans Ta Miséricorde, ce " bouquet " de silences offert par la bouddhiste que j'étais et la catholique que je suis aujourd'hui. Car ce n'est pas un silence de recherche ou de stratégie, mais un silence qui s'impose par sa nature, au-delà des mots, des concepts… Paradoxalement, la chrétienne sent que c'est là le lieu d'échange en vérité avec la bouddhiste.

La méditation chrétienne, en effet, est habitée par une relation forte avec un Dieu personnel, alors que les bouddhistes cherchent avant tout la vacuité, c'est-à-dire la prise de conscience que chaque être fait partie d'un Tout Impersonnel qu'ils appellent la nature du Bouddha. (Claire Ly, Revenue de l'enfer, quatre ans dans les camps khmers rouges, p.173)

Cette dernière me dit que ce silence-là est harmonie, lieu où l'homme " se reconnecte " avec sa vraie nature, c'est le prémisse de la libération finale de tout être vivant du Samsara … La chrétienne respecte le silence de sa compagne, mais le sien n'est pas solitaire… La catholique pressent la présence d'un Autre qui vient nous rejoindre sur la route silencieuse. Comme avec Cléophas sur la route d'Emmaüs, un Autre nous accompagne. Je n'ai pas de mots, Père, pour présenter ce Troisième Compagnon à la bouddhiste. Mais a-t-elle vraiment besoin de ma présentation balbutiante pour Le connaître ? J'ai l'impression que la bouddhiste en sait beaucoup plus qu'elle ne veut l'admettre. Car pour elle, tout chemin vers l'Ultime demeure au-delà des mots.

Je suis une catholique venue du bouddhisme et sans complexe. Mais je suis loin de pouvoir vivre ma foi chrétienne comme les " catholiques de souche ". Souvent, je me trouve pauvre en mots pour parler de Dieu. L'éducation bouddhique me met à l'abri des pensées anthropomorphiques concernant l'Infiniment Grand, le Tout autre. Le " bavardage " de mes frères chrétiens concernant Dieu, me met toujours mal à l'aise, car pour moi, trop de mots figent le Dieu Trinité... (Claire Ly, Revenue de l'enfer, quatre ans dans les camps khmers rouges, p.172)

Se sentir accompagnée par un Autre fait que le silence de la chrétienne devient une attente, une ouverture vers une promesse à accueillir… Le silence devient conversation avec Toi… Merci, Père, pour ce cœur à cœur...

Sur cette terre de déchirure, où le plus pauvre voit ses droits les plus élémentaires bafoués quotidiennement, aide, Père, les bouddhistes à revenir plus vite vers la compassion du Bouddha. Fais qu'ils comprennent l'urgence de poser des " bons actes " afin d'éviter l'enlisement dans le Samsara.

Un activisme dévorant de la part des chrétiens me gêne aussi. Il est vrai que la passivité de mes frères bouddhistes me désole profondément. Dans les pays où la croyance dans le karma est omniprésente, on ne peut que constater la lourdeur des mentalités devant l'injustice, la misère, les inégalités. Mais que dire de l'activisme à outrance ? N'est-il pas tout aussi nuisible ? Le " il faut faire " à tout prix peut amener toute une cascade d'erreurs telles que le mépris de l'autre, le non-sens de ses actes et de soi-même. A force de vouloir toujours agir, on arrive à oublier d'être. (Claire Ly, Revenue de l'enfer, quatre ans dans les camps khmers rouges, p.169)

Sur cette même terre, fais que les chrétiens comprennent que toute valeur spirituelle qui construit l'homme, qui le libère de ses instincts de domination, ne peut être étrangère à Ton cœur de Père.

Donne, Père, à tous l'humilité et l'amour nécessaire pour pouvoir remettre les blessés de la vie debout, sans les accaparer. Qu'ils puissent dire comme Jésus au paralysé de Capharnaüm :

«Lève-toi, prends ta civière, et va dans ta maison.» (Mt 9-6)

Claire Ly

Retour aux articles de Claire Ly


 
Accueil | Auteur | Livres | Articles | Conférences | Presse | Cambodge | Voyages