Préface de Revenue de l'enfer
par Dennis
Gira, directeur adjoint de l'Institut de sciences et de théologie des religions
à l'Institut catholique de Paris
Rédacteur en chef de la revue Questions actuelles
C'est avec beaucoup d'hésitation que j'ai accepté d'écrire ces quelques mots en préface du livre passionnant de Claire Ly. L'expérience bouleversante de cette jeune femme cambodgienne cultivée - fille de notable, enseignante, épouse et mère - qui a subi, avec sa famille et tant de ses sompatriotes, les horreurs de la révolution khmère rouge, parle d'elle-même. Comment pourrait-on ajouter au récit de cet itinéraire par lequel l'auteur est passé - non sans perdre persque tous ceux qui comptaient le plus pour elle - de l'enfer à la liberté, de la haine née de la souffrance à un véritable amour, de l'Extrême-Orient à l'Occident (la France) et du bouddhisme au christianisme ? Il m'a semblé évident, dès la première lecture du manuscrit, que l'histoire de Claire Ly invitait avant tout à un silence respectueux, surtout de la part de quelqu'un qui n'avait jamais connu la souffrance qu'elle avait vécue. Si finalement j'ai répondu positivement à la demande de l'éditeur, c'est pour donner quelques pistes de réflexion afin que soit mieux compris un aspect de cet itinéraire qui peut étonner en France : le passage du bouddhisme au chtristianisme (et plus précisément au catholicisme). En effet, en "accompagnant" l'auteur page après page, les lecteurs pourront être quelque peu désorientés par certains propos concernant le bouddhisme - des propos qui ne vont pas du tout dans le sens des images que l'on diffuse habituellement en Occident. Et si ces lecteurs sont bouddhistes, ils ne se retrouveront sans aucun doute pas du tout dans la description du bouddhisme qui est faite dans le livre. Comment alors éviter les malentendus éventuels ? Tout d'abord, je soulignerai que, d'un bout à l'autre, ce livre témoigne d'une expérience que l'on ne peut que qualifier d'"extrême". Il ne s'agit ni d'un essai sur la renconctre le bouddhisme et le christianisme ni, bien évidemment, d'une étude comparative de ces deux traditions. Pour comprendre la transformation dont l'auteur nous fait le récit, l'important n'est pas de comprendre ce qu'est le bouddhisme - les ouvrages qui expliquent cette tradition avec la sympathie et l'objectivité ne manquent pas - mais de voir ce qu'était le bouddhisme pour elle , dans les circonstances très concrètes de sa vie. Au fond, c'est un peu comme écouter le témoignage d'un Français passé du catholicisme au bouddhisme. Lorsque ce converti explique comment le bouddhisme a pu l'aider à surmonter des difficultés personnelles liées à son expérience très négative d'une Église qu'il juge culpabilisante ou à une idée finalement terrifiante de Dieu, il ne parle que de son expérience du christianisme. Paradoxalement, il peut même dire parfois aussi son attachement à cette Église vis-à-vis de laquelle il prend de la distance, ou son attachement du moins à Jésus-Christ. Or, si l'on veut comprendre son itinéraire, l'accueil de son expérience est tout à fait indispensable. La même attitude permettra au lecteur de mieux entrer dans l'expérience de Claire Ly. Ensuite, je crois qu'il est important d'accepter le fait que le bouddhisme que l'on découvre en France est parfois très différent du bouddhisme tel qu'il est vécu dans des pays où il est la tradition despuis des siècles, voire des millénaires, on trouve côte à côte la pureté de la doctrine, vécue par des bouddhistes extrêmement bien formés, et des formes de bouddhisme populaire totalement inconnues en Occident. Dans ce livre, Claire Ly parle essentiellement de ce bouddhisme populaire, avec tout ce que cela implique du point de vue de la pratique et du discours religieux. Bref, il ne faut pas s'étonner que l'expérience qu'elle décrit ne corresponde pas à celle des grands maîtres qui viennent en Occident nous parler de leur tradition. Et pourtant ce bouddhisme populaire fait partie du bouddhisme. Enfin, je pense qu'il est nécessaire de dire un mot sur la violence infligée à Claire Ly par des personnes qui ont été élevées comme bouddhistes et qui se sont parfois appuyées sur des croyances bouddhiques pour manipuler le peuple. Une telle situation est quasiment incompréhensible en Occident tant le côté pacifiste et pacifiant du bouddhisme est mis en évidence. Le témoignage de l'auteur nous plonge dans un tout autre monde, un monde où le bouddhisme a connu un grand échec, semblable à celui que le christianisme a parfois connu en Occident. Dans certaines circonstances, ces deux traditions n'ont tout simplement pas pu juguler la violence qui habite le coeur de l'homme sur cette terre. Mais cela ne veut pas du tout dire que le bouddhisme ait été associé à cette violence. Cette tradition, comme le peuple cambodgien, en a été la victime. Ceux qui ont joué sur les croyances bouddhiques du peuple pour mieux les faire plier à leurs exigences ne comprenaient rien au bouddhisme. Et le fait que de nombreuses personnes se soient laissé manipuler dans ces circonstances montre à quel point une foi peu soutenue par une vraie formation peut être fragile. Claire Ly, à la différence de la vaste majorité de ses compatriotes, refusait d'être manipulée. Et dans ce refus, elle a découvert Dieu. Au début c'était " le Dieu des Occidentaux " et elle le détestait. Mais peu à peu, explique-t-elle, il lui est apparu clairement que ce Dieu était un Dieu d'amour, un Dieu qui pardonne, un Dieu qui fait vivre. Sa vie en a été transformée et de nouveaux horizons s'ouvrent devant elle. Le passage de l'enfer à la liberté et celui de la haine à l'amour ayant été accomplis, elle cherche maintenant à découvrir la richesse de sa nouvelle foi chrétienne, sans pour autant complétement oublier certains aspects de la sagesse bouddhique. Cette très brève préface est déjà plus longue que je ne l'avais pensé. C'est le moment de revenir au silence respectueux dont je parlais plus haut - et de laisser le lecteur découvrir lui-même le témoignage de Claire Ly. |
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