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![]() L'idéologie Khmer rouge, Bouddhisme et Totalitarisme
Forum public sur l'histoire des Khmers rouges
De Staline à Pol Pot : vers une définition du régime des Khmers rouges Tout être humain aspire à vivre dans la paix, la joie et l'harmonie. Mais l'histoire de l'humanité est loin de refléter cette aspiration fondamentale. Elle est parsemée au contraire de cassures, de drames, de tragédies. Le XXe siècle reste marqué par des violences tragiques qui n'ont épargné aucune civilisation, aucune culture. 1945, fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Europe découvrait avec horreur l'existence des camps d'extermination de Hitler. La Shoah, terme qui veut dire anéantissement, a fait six millions de victimes parmi les juifs. Trente ans après, une autre tragédie se déclarait sur un autre continent, l'Asie. Le régime de Pol Pot a exterminé un tiers de la population khmère entre 1975 et 1979. Quinze ans après la fin du drame qu'a vécu le peuple khmer, une autre tragédie, aussi violente et aussi absurde, se déroulait sur le continent africain : 500.000 à 800.000 Rwandais Tutsi ont été massacrés d'avril à juillet 1994. Ce rapide survol de l'histoire de l'humanité n'a pas pour but de relativiser ce qui s'est passé sous le Kampuchéa démocratique. Au contraire… Nous devons prendre conscience que la folie humaine n'a pas de frontières. Cette folie-là n'est pas réservée à une culture donnée. Elle peut se déclarer n'importe où et n'importe quand. L'humanité entière est appelée à veiller pour que cela ne se reproduise pas. Nous avons à veiller ensemble, nous Khmers avec d'autres frères et sœurs en humanité, afin que le slogan prononcé à l'ONU en 1948 soit véridique : « Plus jamais cela ! » C'est dans cet esprit de veilleur que j'ai accepté de participer à ce colloque sur le Kampuchéa démocratique. Je voudrais simplement me poser en tant que témoin de ces années tragiques, où la vie de tout Khmer était aussi aléatoire que « la goutte d'eau sur la feuille de lotus ». Comme la plupart des Khmers, j'ai perdu beaucoup d'êtres aimés dans cette tragédie : mon père et mon mari ont été fusillés entre Battambang et Muong Ruessei ; mon frère aîné égorgé, mon frère cadet fusillé avec sa femme française. La liste est longue. Presque tous les hommes de ma famille ont été massacrés, classés comme des notables par le pouvoir politique du Kampuchéa démocratique. Les organisateurs du colloque m'ont demandé de prendre comme sujet de partage : L'idéologie Khmer rouge, Bouddhisme et totalitarisme. Je me sens vraiment très honorée par leur confiance… J'avais vingt-neuf ans quand notre pays a basculé sous le régime des Khmers rouges. Je travaillais à l'institut national de Khmérisation (Khémarak Yean kam) en tant que directrice technique. Cet institut était sous l'autorité du ministère de l'Éducation nationale. Il s'occupait de traduire des manuels scolaires du français en khmer. En 1975, nous avions terminé de traduire tous les manuels de la classe terminale. Avant de rejoindre l'institut, j'enseignais la philosophie de 1968 à 1970. J'ai obtenu la licence en philosophie en 1968 et la licence de sciences économiques en 1970. Comme tout Khmer, ma famille était bouddhiste. J'ai reçu une éducation spirituelle très soignée de la part de mon père. Pour moi, le bouddhisme n'était pas seulement une religion de tradition. À partir de 1968, il était une voie que j'ai choisie en connaissance de cause. Par mon travail professionnel à l'institut de Khmérisation, j'ai eu l'occasion d'approfondir ma connaissance dans l'enseignement du Bienheureux, le Bouddha. Beaucoup de mes collègues étaient des diplômés de l'institut bouddhique et nous travaillions en collaboration étroite avec Samdech Chuon Nat dans la recherche des nouveaux mots khmers pour les manuels scolaires. J'ai pensé et je pense toujours que Bouddha montre la voie de libération à tout homme. Son enseignement permet à l'homme de traverser l'océan de souffrance pour atteindre l'autre rive où règne la sagesse. Mais pourquoi cet enseignement s'est-il montré impuissant face aux atrocités des Khmers rouges ?
Question difficile mais juste… Je ne prétends pas avoir la réponse. Ce que je vais partager, ce n'est qu'une des réponses possibles. Et cette réponse prend comme point d'appui mon expérience personnelle. C'est une des qualités de la tradition bouddhique de lier toute analyse à l'expérience de vie. Je me permets d'abord une remarque importante : aucune religion dans le monde ne peut prétendre pouvoir éradiquer la violence dans la cœur de l'homme. Les religions essaient avec beaucoup du mal de la canaliser. L'homme reste libre de choisir le mal ou le bien… Dans notre tradition khmère, le mot « religion » se dit « sasna », enseignement moral. Cet enseignement nous montre la voie à suivre pour vivre dans la paix et la sérénité. L'enseignement du Bienheureux veut libérer l'homme de tous les liens qui le tiennent prisonnier du Samsara. Selon Bouddha, l'homme est plus grand que toutes les divinités, car seul l'homme peut atteindre le Nirvana. Tous les génies de l'eau et de terre ne sont pas plus puissants que l'homme. Ceux qui pensent que le bouddhisme a fait faillite sur la terre khmère ont certainement tort. Car le bouddhisme comme toute voie spirituelle aide l'homme à se construire dans la liberté. Il partage en quelque sorte avec le christianisme la vision de la grandeur de l'homme. À cause de cette vision même, il peut être l'objet d'instrumentalisation politique par les dictateurs. Les Khmers rouges ont bien instrumentalisé la croyance dans le karma de la société khmère. De 1975 à 1977, combien de fois ai-je entendu les responsables khmers rouges et certains présidents des Sahakor affirmer que les victimes méritaient leur sort. C'était la façon facile et terrifiante de justifier la violence et les crimes commis : si les victimes sont responsables, il n'y a plus de criminels, plus de tortionnaires… On a ainsi manipulé le peuple. Pour pouvoir le faire, il est indispensable d'éliminer tous ceux qui peuvent l'éclairer. D'où le massacre de tous les grands maîtres spirituels bouddhistes. |
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