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![]() L'idéologie Khmer rouge, Bouddhisme et Totalitarisme
(suite 2/3) Mais que dit vraiment la croyance dans le karma ?
Il est vrai que la croyance populaire khmère pense que tout ce qui arrive à l'être vivant a toujours une cause. Mais si on ne s'arrêtait qu'à cette loi de causalité, on tronquerait notre croyance bouddhiste de sa partie la plus importante spirituellement. À savoir le Brahma Vihara : Metta (Bienveillance), Karuna (Compassion), Mudita (Joie), Upekkha (Équanimité). Ces quatre sentiments incommensurables sont immortalisés par les tours à quatre faces du Bayon. Ces sentiments sont le cœur même de l'enseignement du Bouddha. Aucun bouddhiste ne peut l'ignorer. On comprend alors qu'aucune dictature ne peut tolérer ces nobles sentiments. On instrumentalise le bouddhisme si on dit que les victimes méritent leur sort sans développer en même temps la bienveillance et la compassion envers elles. Pour voiler le Brahma Vihara dans la conscience du peuple, l'Angkar a utilisé les trois armes courantes de toute dictature du XXe siècle : le déplacement en masse de la population, la peur et la famine. Le déplacement de la population avait pour but de disperser tout noyau de résistance possible. Chacun de nous perdait ainsi ses points de repère. Les gens des villes avaient l'impression d'être dans un pays inconnu en arrivant à la campagne. Les gens de la campagne voyaient beaucoup de visages inconnus envahir en vingt-quatre heures leur village, leur hameau… Les uns comme les autres ne savaient plus qui étaient amis ou ennemis. C'était un déséquilibre psychologique important. Ce déséquilibre psychologique permettait à l'Angkar de faire naître la peur paralysante. Cette peur faisait perdre à la plupart d'entre nous la clairvoyance de notre conscience morale. Nous basculions ainsi dans l'ignorance que Bouddha qualifie de « Ak Vichea » (sans connaissance). La famine amplifiait jusqu'à la démesure la peur. On avait peur, car on ne pouvait plus s'appuyer sur la raison. Il était impossible de raisonner dans le bon sens quand notre corps était privé de tout. Tout Khmer de naissance sait par sa culture bouddhique que les mortifications extrêmes ne sont pas des conditions favorables pour développer la méditation et la réflexion. Les Khmers rouges ont réussi à éradiquer pendant quatre ans, dans la conscience de certains Khmers, le bouddhisme et les autres religions, en utilisant simultanément ces trois armes redoutables. Oui, certains de nos compatriotes ont basculé dans cette politique de violence. Mais pas tous les Khmers. Certains se rappelaient encore, malgré la peur, malgré la justification caricaturale de la violence par le karma, que la compassion était une valeur importante de la société khmère. Ils l'exerçaient en cachette, souvent par des petits gestes passés inaperçus aux yeux des cadres de l'Angkar. Ces gestes constituaient des étoiles d'espoir pour beaucoup de gens comme moi, pris dans le tourbillon de la violence génocidaire du Kampuchéa démocratique. Mais ils sont autant de bribes de promesse pour une humanité digne de son nom… Je conviens que la période du Kampuchéa démocratique ne peut être un objet de fierté pour un Khmer. Le Kampuchéa démocratique a piétiné l'humain, il a transformé certains de ses enfants en bêtes sauvages. Les quatre ans des Khmers rouges constituent une blessure difficile à guérir pour notre histoire nationale. Mais cette blessure est aussi celle de toute l'humanité. L'analyse politique, économique et sociale de cette période permet de dégager les influences étrangères dans l'idéologie et le choix de l'Angkar. Ainsi, nous, les Khmers de naissance, n'avons pas à porter seuls la honte du Kampuchéa démocratique. Mais nous ne devons pas non plus nous déresponsabiliser de cette période tragique en attribuant uniquement sa cause à la politique étrangère des États-Unis d'Amérique, par exemple. Nous avons à trouver selon la tradition bouddhique de notre pays la « voie du milieu », qui ne bascule ni dans l'irresponsabilité immature ni dans la honte paralysante. C'est bien que la communauté internationale se mobilise pour réfléchir avec nous, les autochtones, témoins de l'époque, et leurs descendants, sur cette période sombre de l'histoire du Cambodge et de l'humanité. La communauté internationale ne doit surtout pas oublier que ce drame se passait dans une culture donnée. Elle doit faire attention à ne pas bafouer le joyau de cette culture qui est le bouddhisme pour notre pays. À mon sens, aucun travail d'analyse et de guérison ne peut être entrepris sans la mobilisation de la force spirituelle. Et j'entends par force spirituelle, la religion bien sûr, mais aussi toute pensée qui permet à l'homme de garder sa dignité et sa liberté. Pour le Cambodge, nous avons besoin des maîtres spirituels bouddhistes, de nos écrivains, nos poètes, de tous ceux qui travaillent à mettre notre peuple debout. Nous avons moins besoin des génies qui ne sont que des idoles fabriqués par l'ignorance de l'homme selon l'enseignement du Bienheureux… |
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