Cambodge 2006
Ce troisième séjour est pour moi un séjour beaucoup plus approfondi. Les émotions fortes des deux premières se sont un peu estompées. J'ai l'impression d'être plus sereine avec moi-même. Cette sérénité permet une distance indispensable pour renouer avec mon pays d'origine. Elle me permet d'accueillir des questionnements, des interrogations qui m'ont déjà effleurée lors des précédents séjours, sans arriver pour autant à creuser des sillons en moi. Il faut une certaine sérénité d'esprit, une certaine distance psychologique pour se laisser interroger sur l'essentiel de notre être. J'ai promis à quelques amis de partager avec eux ces interrogations. Mais avant tout, je voudrais me situer en dehors de toute polémique. Mes propos peuvent être durs pour certaines personnes, mais que ces dernières sachent qu'ils ne sont pas faciles pour moi non plus. Oui, il y a des réalités pressenties et senties lors de ce troisième voyage qui m'ont blessée profondément, blessée en tant que khmère, mais blessée aussi dans ma foi en Jésus-Christ. Je suis consciente que ces interrogations sont miennes, elles n'ont aucune valeur universelle. Elles ont simplement comme caractéristique d'être imprégnées par deux cultures, asiatique et occidentale. Tous ceux qui peuvent se sentir visés ou blessés par ce partage, je les invite à venir avec moi porter ces interrogations à notre seul et unique maître : Jésus le Christ. Il va de soi que mes propos sont adressés d'abord à ceux qui confessent comme moi la foi chrétienne Le Cambodge est en pleine convalescence ; une convalescence qui dure depuis vingt-six ans. En 1979, le régime génocidaire de Pol Pot est tombé, et le pays commence à réapprendre à vivre. Il s'ouvre à la communauté internationale et aux Églises chrétiennes depuis 1994, après la nouvelle constitution votée en octobre 1993 reconnaissant la liberté religieuse. Durant cette convalescence lente et lourde, le pays est devenu une terre de misère et de mission aussi L'humain est complètement abîmé par la politique d'extermination des khmers rouges. Le bouddhisme Théravada n'est pas sorti indemne de l'idéologie communiste de Pol Pot et ses sbires. Beaucoup de maîtres spirituels bouddhistes ont été massacrés. C'est sur cette terre exsangue qu'arrivent les ONG et les différentes Églises chrétiennes. La situation économique reste toujours précaire aujourd'hui car il manque une vraie politique nationale. Cette situation crée des inégalités révoltantes, la richesse du pays ainsi que l'aide internationale se trouvent " concentrées " dans les mains de ceux qui sont au pouvoir. Le peuple essaie de survivre. L'économie tourne grâce à la présence des ONG, me dit-on. Cette anomalie fait que le pays est une terre vierge attirant toutes sortes de générosités. Je ne veux pas dire que les actes généreux sont mauvais, mais que ces actes peuvent être inspirés par des désirs plus ou moins respectables. Ces désirs peuvent se déguiser en prenant les habits honorables de la compassion, de la charité, ou de la mission Je pense que la vraie générosité envers le peuple khmer exige un examen de conscience sincère de la part des donneurs riches venus d'ailleurs. C'est vraiment trop facile de faire croire que nous autres les donneurs sommes des gens désintéressés qui ont tout sacrifié pour venir aider le peuple khmer Ce dernier n'a qu'à dire merci à ces étrangers qui ont quitté leur pays, leur famille pour le bien d'un pays étranger. J'avoue qu'en 2006 un discours aussi simpliste a de la peine à convaincre la génération occidentale pétrie de sciences humaines. Quant au peuple khmer, nous faisons semblant d'y croire : car la sagesse ancestrale dit à n'importe quelle race de ne pas cracher sur la soupe quand on a faim Oui, c'est un fait que je ne remets pas en question : le peuple khmer a besoin de la générosité des riches pour pouvoir vivre. Je voudrais tout simplement inviter les riches à être un peu plus sincères avec eux-mêmes. Si ces derniers se réclament de l'Église catholique, je voudrais les inviter à aller encore plus loin dans leur examen de conscience, non pas parce qu'ils ont plus de capacité que les autres, mais parce qu'ils font tout simplement partie de la même famille spirituelle que moi. Je n'ai aucune solution à leur proposer Je ne peux que les inviter à faire un bout de chemin avec moi... |
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