Claire Ly
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Cambodge 2006 (suite)

Lors de mes rencontres, les nouveaux chrétiens me disent souvent qu'ils sont venus à la religion catholique parce qu'ils ne trouvent pas de solidarité à la pagode. Il faut par exemple avoir de l'argent pour aller à la pagode ; les pauvres n'y trouvent pas de place. C'est un très grand honneur pour la communauté catholique d'avoir cette qualité d'accueil envers les plus pauvres. Mais ne nous appartient-il aussi à nous, disciples du Christ, de rappeler que les disfonctionnements des pagodes bouddhiques ne sont que des erreurs des pratiquants et qu'ils ne touchent en rien à l'enseignement du Bouddha. Cela fait partie de notre mission d'aider un Khmer à construire ses jugements. Mais cela suppose qu'il y ait un vrai effort de la part des missionnaires chrétiens pour connaître le bouddhisme.

La méconnaissance d'une tradition nous amène à faire des erreurs inévitables. À Phnom-Penh, par exemple, on a eu l'idée de construire un " stupa chrétien ". On n'aurait jamais eu cette idée si on connaissait le symbole du stupa dans la tradition bouddhique. Le stupa est le symbole d'Arhat, toute une compréhension dans l'effort du saint bouddhique (Arhat) pour se libérer du Samsara afin d'atteindre le Nirvana. Les chrétiens ont eu l'idée de construire un stupa avec une croix au-dessus bien évidemment. Cela a amené des protestations de la part des bouddhistes, traités aussitôt d'intolérants. Dans la communauté chrétienne, on n'a pas pensé que christianiser ainsi le stupa était une mainmise grave sur la tradition bouddhique…

" D'autre part, par le dialogue, non seulement les réalités socioreligieuses asiatiques peuvent être enrichies par le christianisme, mais, à son tour, le christianisme peut aussi être enrichi par les réalités asiatiques. Autrement, un monologue en sens unique rend le christianisme responsable d'instrumentalisation, c'est-à-dire qu'il s'approprie les éléments sotériologiques dans les réalités socioreligieuses asiatiques aux fins d'un usage chrétien, sans respecter leur intégrité au sein de la matrice socio-religieuse asiatique. " (" Missio inter gentes ", in document n°3 D/2005, supplément EDA, n°415, mars 2005.)

Dans la tradition bouddhique khmère, la vie et la mort sont des réalités qui vont ensemble. On ne peut parler de la vie sans parler de la mort. Or le discours des missionnaires reste très occidental sur ce point-là. La doctrine chrétienne est présentée comme une doctrine moderne qui va prendre en charge la solidarité, la fraternité, l'action même, en occultant bizarrement le sens de la vie et de la mort qui se trouve au cœur de l'angoisse humaine. Beaucoup de " nouvelles pousses " (les nouveaux venus dans l'Église catholique) portent en eux cette question angoissante. Nous ne pouvons répondre à cette attente que si nous acceptons de remettre au cœur de notre partage catéchétique, la prière silencieuse et les actes symboliques. Les symboles, souvent oubliés en Occident, font partie de la vie spirituelle d'un Khmer…

Nous n'avons pas non plus à copier aveuglément, sans aucun discernement, les actes symboliques de la société khmère. Le peuple khmer est un peuple très religieux, les bonzes sont donc vus comme des êtres supérieurs qui ont une bonne avancée sur la voie de la libération d'un simple laïc. Ce qui explique que les fidèles bouddhistes ont des attitudes extrêmement respectueuses envers ces êtres saints. C'est cohérent avec l'enseignement du Bouddha. Et les prêtres catholiques sont-ils aussi des saints plus près de Dieu que nous autres, simples fidèles ? Je suis très étonnée qu'à la fin d'une célébration eucharistique, le prêtre accepte que leurs fidèles se mettent à genoux pour lui offrir une fleur... Nous parlons du symbole, n'y-a-t-il pas quelques symboles à inventer pour signifier que nous sommes tous égaux devant Dieu ? Il me semble que le témoignage sur la valeur " non pyramidale " de l'être humain dans la société khmère, où la parole de la hiérarchie est rarement mise en question, est un devoir pour un chrétien. Faut-il continuer à véhiculer l'image d'une Église pyramidale où tout coule du haut vers le bas ? C'est vrai que cette vision de l'Église correspond parfaitement à la mentalité khmère de tout attendre du chef. Ne gagnerions-nous pas à remettre en question cette passivité ?

Finalement, je suis triste, très triste de constater que sur le terrain du dialogue, l'Église du Cambodge vit fermée sur elle-même ; trop de personnes qui se considèrent comme missionnaires sont enfermées dans leur certitude bétonnée. Mon fils de 26 ans m'a fait remarquer que si l'on part à l'autre bout du monde, c'est parce qu'on est certain d'avoir quelque chose à transmettre et à partager. Sans cette certitude, comment comprendre le sens même du mot " mission " ? Il faut faire attention à ne pas basculer dans le relativisme absolu aussi. " Par nature, l'Église durant son pèlerinage sur Terre est missionnaire " (Ad Gentes N°2)

Si nous pensons que la mission consiste uniquement dans le fait d'aller faire du " bien " au peuple khmer, nous passons alors à côté de la portée évangélique de cette phrase. Je pense comme Christoph Theobald, sj, professeur de théologie au centre Sèvre, que la mission est avant tout rencontre et présence. " J'entends encore dans le terme "présence" la capacité d'être à la même hauteur qu'autrui. Sinon, il n'y aurait pas "présence" mais "hiérarchie". La présence à autrui exige donc que je sois à la même hauteur que lui, à la hauteur de sa voix et de ses oreilles, au même niveau que ses yeux et son regard (…) Et puisque le mot "présence" a non seulement une connotation corporelle mais rappelle aussi la racine le "présent", à savoir le cadeau, on peut encore ajouter que la véritable présence est toujours présent, un cadeau, que ce soit l'autre qui m'est présent, étant par là un présent, ou que ce soit l'inverse ou encore les deux. C'est alors qu'apparaît l'élément sacramentel de la rencontre. (Présences d'Évangile, Éd de l'Atelier 2003, p.102).

En quoi, le peuple khmer imprégné par le bouddhisme peut-il être présent pour nous autres, chrétiens de conversion ou de tradition ?

Je confesse le Christ comme Maître et Seigneur, mais je ne suis nullement propriétaire de son Esprit. L'Esprit du Seigneur peut très bien se manifester chez les bouddhistes. Ces derniers peuvent même m'aider à découvrir de plus en plus Son visage. Finalement, je ne peux pas dire que j'ai fait le tour de l'Évangile ni croire que la civilisation occidentale a tout découvert sur le mystère de Dieu. La mission pour moi est tout simplement faire un bout de chemin avec mes semblables, croyants ou non, pour partager ce cadeau inestimable de Dieu : la vie. J'aime parler de ma foi comme une poésie qui traverse ma vie et la rend plus harmonieuse. Cette poésie est personnelle, c'est à chacun de trouver la sienne. Je n'ai pas de recette. Et en matière de poésie, toute recette ne peut que figer la source d'eau vive… Mais la source peut jaillir de rencontres vraies avec d'autres croyants.

J'invite tous ceux qui souhaitent être des témoins de Jésus-Christ, à relire et à méditer l'article du théologien Jonathan Yun Ka TAN. Je me permets d'en citer quelques passages :
" En remontant à la Première Assemblée plénière de la FABC, Michael Amaladoss explique que les évêques asiatiques ont perçu la mission comme un dialogue avec "la triple réalité de l'Asie, (…) ses riches cultures, ses anciennes et grandes religions, et les pauvres."

" (…) L'un des dangers possibles, inhérent à la proclamation, est qu'elle pourrait conduire à un monologue condescendant triomphaliste et irrespectueux, à sens unique, qui bafoue les sensibilités des non-chrétiens."

Il a été souligné que dans la façon de penser asiatique, "la vérité ne s'impose pas, mais attire plutôt toute personne et toute chose à elle pas sa beauté, sa splendeur et sa fascination" - ce qui est la définition-même du dialogue. En bref, la proclamation sans dialogue court le risque du prosélytisme débridé avec ses connotations hautement agressives. Sur cette base, Michael Amaladoss peut dire que l'évangélisation en Asie en tant que triple dialogue avec les réalités de l'Asie "signifie que nous n'importons pas de quelque part des schémas tout faits du salut, mais que nous laissons les peuples d'Asie dialoguer avec la Bonne Nouvelle d'une façon créative et pertinente" " (in Églises d'Asie, n°415, 16 mars 2005.)

Où en sommes-nous au Cambodge ?... Dialogue… ou … monologue… ?

Claire Ly

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